…009
Fort des merveilleux résultats qu’il avait obtenus auprès des malades en Syrie, Asgad Ben-Adnah ne se contenta pas de rencontrer uniquement les chefs des gouvernements qui le conviaient dans leurs pays. Partout où il allait, il visitait aussi les hôpitaux, les asiles, les hospices et même les sanatoriums. Personne ne pouvait le dissuader de s’acquitter de sa nouvelle mission divine, pas même Océane, Benhayil et Antinous, à qui il parlait régulièrement au téléphone. Il continuait de leur promettre qu’il allait bientôt rentrer à Jérusalem, mais dès qu’une autre nation lui lançait une invitation, il l’acceptait et faisait tout de suite changer ses plans de vol.
Il marqua ainsi son passage en Croatie, en Bulgarie, en Serbie, en Roumanie, en Ukraine et en Albanie par des guérisons miraculeuses, allant même jusqu’à sauver la nièce du président croate d’une mort certaine. Toutefois, Asgad ne suscitait pas seulement l’émerveillement de la population mondiale, il s’attirait aussi la haine de certains groupes qui ne désiraient pas voir la paix s’installer sur Terre, dont l’Alliance. Si cette dernière n’avait pas pu se manifester ouvertement avant le Ravissement, depuis quelques mois, elle étendait de plus en plus ses tentacules sur l’Europe et le Moyen-Orient, désireuse de devenir une importante force politique.
C’était l’Alliance qui avait commandité la première tentative d’assassinat contre Asgad Ben-Adnah en empoisonnant le cerveau d’un jeune Syrien militant de gauche. En apprenant que l’homme d’affaires avait survécu à ses blessures, les démons s’étaient rassemblés sur une île déserte de la Méditerranée pour préparer leur prochain attentat.
Depuis qu’Ahriman avait cessé de les diriger pour s’occuper uniquement des affaires de Satan, ces cruels reptiliens avaient élu un nouveau chef parmi eux. Ne désirant pour rien au monde être de nouveau à la merci d’un membre d’une caste magique, ils avaient opté pour un Shesha plutôt que pour un Orphis.
Les sanguinaires Sheshas étaient apparentés, à un certain degré, aux Draghanis et aux Anantas. Tout comme ces derniers, leurs écailles étaient bleues plutôt que vertes, et ils partageaient leurs envies de domination. Dénués par contre de l’intelligence de leurs cousins de la haute caste, ils s’imaginaient qu’en dévorant le plus de chefs humains possible, ils parviendraient à paver la voie de conquête du Prince du Ténèbres. Ils n’avaient pas non plus pris la peine de s’informer au sujet de leur prochaine victime. Les Sheshas savaient seulement qu’elle gagnait de plus en plus le cœur de la population, ce qui les horripilait au plus haut point. Ils ignoraient aussi que le Faux Prophète lui-même veillait sur Asgad…
Asmodeus n’adoptait pas souvent une forme humaine, car celle-ci le répugnait. Il préférait de loin son apparence reptilienne. Physiquement, il était difficile de distinguer un Shesha d’un Anantas, car ils étaient sensiblement de la même couleur et de la même taille, en plus d’avoir des habitudes alimentaires semblables. Ce n’était qu’au niveau de leurs pouvoirs qu’on pouvait établir la distinction entre ces deux races. Les Anantas étaient de puissants magiciens. On pouvait toutefois différencier les Sheshas des Draghanis par les petites nageoires vertes que ces derniers portaient au-dessus des oreilles.
Après avoir fait le tour de ses effectifs, Asmodeus en vint à la conclusion qu’aucun d’eux n’était suffisamment subtil pour commettre ce meurtre, même les Naas qui pouvaient se déplacer dans les airs. Suite à leur premier misérable échec, Ben-Adnah était maintenant entouré de redoutables gardes du corps recrutés parmi la crème de l’armée israélienne. Le nouveau chef de l’Alliance n’avait plus le choix : il devait s’acquitter lui-même de cette mission.
Les Sheshas n’étant nullement de puissants nageurs comme les Nagas, Asmodeus avait dû emprunter le bateau de l’un de ses subalternes pour se rendre en Turquie, où l’entrepreneur prodige était en train de conquérir le cœur de la population. Le commandant des reptiliens commença par s’informer des déplacements de Ben-Adnah, qui n’étaient nullement secrets. Les journaux les affichaient en grosses lettres, ajoutant que tous les pays accueillaient le nouveau leader mondial, les bras ouverts. Partout où il arrivait, les aéroports étaient bondés de gens qui lui lançaient des fleurs et lui soufflaient des baisers. « Son temps s’achève », gronda intérieurement le démon.
Asmodeus se réfugia ensuite dans un gecekondu, non loin de la ville qui recevrait bientôt l’homme d’affaires. C’était un rassemblement de cabanes en parpaing, sans rues ni égouts, dépourvues d’eau et d’électricité, comme il en surgissait parfois la nuit le long des rues. Tout en échafaudant son plan, le démon pourrait s’y nourrir à volonté des jeunes gens qui y erraient sans que personne ne remarque leur disparition. Là, il attendit le moment de frapper.
Publius Aelius Hadrianus, qui sommeillait au cœur d’Asgad Ben-Adnah, se réjouissait chaque fois qu’il reprenait sous son aile l’une des provinces de son ancien empire. Il avait mémorisé la carte géographique que Pallas lui avait montrée, dans sa villa de Jérusalem, et il entendait régner une fois de plus sur ses contrées d’antan. Cette fois, au lieu de les conquérir par la force, il utilisait une arme bien plus dangereuse : la politique.
Il avait déjà charmé ses anciens sujets de Judea, de Syria, de Dacia et de Dalmatia. Il avait encore fort à faire pour rétablir sa domination sur le monde, mais n’était-ce pas là l’œuvre de toute une vie ? « Océane et Antinous seront fiers de moi lorsque je serai proclamé une fois de plus empereur », se réjouit intérieurement Asgad. Il devait maintenant se concentrer sur un pays qui regroupait plusieurs des anciens états de Lycia, Pamphylia, Galatia, Cappadocia et Thracia, soit la Turquie. Ce remembrement lui faciliterait les choses.
En plus d’un important comité d’accueil, un grand nombre de personnes vint l’accueillir à l’aéroport Ataturk. Sans doute ces gens avaient-ils entendu parler de ses dons de guérisseur. Flanqué de ses propres gardes du corps et d’une escorte militaire digne du pape lui-même, l’homme d’affaires salua la foule, tandis qu’il marchait vers la sortie de l’immeuble. On lui avait proposé de venir le chercher directement sur le tarmac en voiture, mais il avait catégoriquement refusé en clamant très fort qu’il était un homme du peuple.
On le fit entrer dans une limousine allongée, dans laquelle l’attendait le président de la Turquie. Des agents de surveillance montèrent à l’avant de la voiture et dans d’autres véhicules blindés qui la précédaient.
— Je suis enchanté que vous ayez accepté notre invitation, déclara le président turc en serrant la main d’Asgad.
— Comment aurais-je pu la refuser ? rétorqua le visiteur avec un large sourire. J’ai toujours aimé votre pays.
Il n’ajouta toutefois pas qu’il l’avait souvent traversé deux mille ans auparavant avec ses armées.
— En plus des réunions diplomatiques dont vous avez été informé, j’ai fait rassembler à Sultanahmet Camii, la Mosquée bleue, ainsi qu’à Ayasofya, l’ancienne église chrétienne de Constantinopie, les malades qui avaient le plus besoin de vous, ajouta l’homme d’État.
— Vous me comblez.
Asgad n’avait pas encore tenté de guérisons de masse, mais il ne doutait pas une seule seconde d’avoir la force d’opérer ce type de miracles. « Il y a une première fois à tout », se répétait-il depuis la première année de son règne à Rome. Si cette tentative ne réussissait pas, alors il prendrait le temps de voir ces pauvres gens un par un.
— Votre renommée vous précède, monsieur Ben-Adnah. Avant votre arrivée, j’ai rencontré plusieurs des chefs des pays voisins. Nous sommes impressionnés par vos prouesses à un point tel que nous avons songé à former un regroupement politique dont vous seriez le chef.
— De quels pays parlez-vous ?
— De la Croatie, la Bulgarie, la Serbie, la Roumanie, l’Ukraine et l’Albanie, que vous avez déjà séduites, en plus de l’Arménie, la Hongrie, la Slovaquie, la Bosnie, la Slovénie et l’Autriche, qui ont manifesté leur désir de se joindre à nous.
Il s’agissait d’une conjoncture intéressante pour un homme en quête de pouvoir. Asgad n’y était pas du tout indifférent. Il ne lui resterait qu’à annexer les provinces de Bithynia-Pontus, de Macedonia, de Tracia, de Rhaetia, de Belgica, de Gallia, d’Hispania, de Britania et d’Italia pour que son empire lui soit enfin rendu.
— Il nous faudra évidemment trouver un nouveau nom à cet état souverain qui tiendra compte de toutes ces nations, poursuivit le président. Mais on m’a dit que vous n’êtes jamais à court d’idées. En guise d’appréciation de l’effort de paix que vous menez au Moyen-Orient, la Turquie aimerait vous offrir une villa dans la capitale.
— Il n’est pas nécessaire de m’offrir des présents, monsieur le président, mais je l’accepte avec humilité.
Asgad ignorait évidemment que c’était le pouvoir de séduction de l’Anantas en lui qui continuait de faire des ravages. Il n’avait qu’à parler pour être obéi ou à fixer son interlocuteur pour le soumettre.
— Nous allons d’abord nous arrêter dans le meilleur hôtel de la ville, où vous attendent tous vos hôtes. Ils ont vraiment hâte de faire votre connaissance.
Pendant que les deux hommes conversaient, le cortège de voitures noires se frayait un chemin dans les grandes artères d’Istanbul, avec l’aide de la police. Mais pour s’approcher de l’hôtel, il devait s’engager dans plusieurs rues plus étroites. Celles-ci avaient été préalablement évacuées et jalonnées de soldats armés pour prévenir tout attentat à la vie des deux hommes politiques. Mais si ces précautions suffisaient à décourager un assassin humain, il n’en était pas de même pour un reptilien.
Malgré toutes les dispositions prises par le gouvernement turc pour éviter une tragédie, se produisit l’impensable. À trois cent mètres à peine de la destination du convoi, un bolide tomba du ciel comme un météorite, s’écrasant durement sur le capot de la limousine. Effrayé, le chauffeur donna un brusque coup de volant, emboutissant le nez de la grosse voiture dans un conteneur en métal. Le choc ne fut pas suffisant pour blesser ses passagers, qui se redressèrent plutôt pour voir ce qui se passait. Sans perdre une seconde, les soldats foncèrent sur les lieux de l’accident, tandis que les gardes du corps jaillissaient des véhicules.
Les militaires atteignirent la limousine mitraillettes à la main, mais à leur grand étonnement, ils constatèrent que ce qu’ils croyaient être un gros bloc de pierre était en fait une créature d’un bleu très sombre. Cette méprise leur coûta la vie. Asmodeus tourna sur lui-même comme une toupie en tendant les bras. Ses longues griffes tranchèrent les gorges non protégées de ces humains en quelques secondes à peine.
Voyant que la première ligne de défense avait été fauchée, les gardes du corps ouvrirent le feu tous en même temps. Ils ne trouvèrent pas leur cible : elle avait disparu ! Avant qu’ils puissent comprendre ce qui venait de se passer, ils furent attaqués par-derrière par une bête déchaînée. Le sang gicla dans les fenêtres de la limousine au milieu des cris de terreur d’hommes qui étaient pourtant habitués à se battre. Le président turc n’était évidemment pas armé. Il fit donc la seule chose qu’il pouvait faire : il appuya sur un bouton qui verrouillait toutes les portes de la limousine et s’empara de son téléphone cellulaire pour appeler des renforts.
Asgad, quant à lui, observait la scène avec une curiosité morbide. Sans comprendre comment c’était possible, il lui semblait tout à coup revivre des scènes familières. « J’ai déjà tué des ennemis à la guerre, se rappela-t-il, mais jamais avec autant de furie. » Quel genre de guerrier se battait-il ainsi ?
— Nous sommes parfaitement en sécurité dans la voiture, tenta de le rassurer le président d’une voix tremblante.
— Je n’ai pas peur, affirma le visiteur.
La gueule d’une créature immonde recouverte d’écailles bleu sombre apparut alors dans la vitre de la portière.
— C’est le diable ! hurla le président en s’enfonçant dans le siège de cuir.
Asgad ne savait plus très bien ce qu’il éprouvait. Ce qu’il observait n’était pas un visage humain, mais celui d’une bête se rapprochant étrangement d’un lézard. Pourtant, il n’en existait nulle part de cette taille et encore moins qui se tenaient ainsi sur deux pattes. Les yeux rouges de l’assaillant étaient immobiles et sauvages, et son nez saillant ressemblait à un long museau. Asgad vit même une étroite langue fourchue en émerger à plusieurs reprises.
« Pourquoi ne suis-je pas terrorisé ? » s’étonna l’entrepreneur. Au contraire, il montait en lui une envie de se mesurer à ce monstre…
— C’est moi qu’il veut, conclut Asgad.
— Surtout, ne bougez pas, l’avertit le président. Toute l’armée sera ici dans un instant.
Le reptilien se mit alors à frapper si durement sur le verre de la fenêtre qu’il fit trembler le gros véhicule. Au volant, le chauffeur récitait maintenant des prières à son dieu en pleurant. Voyant qu’il n’arrivait à rien, Asmodeus souleva la voiture et la renversa sur le côté, balançant ses occupants sur les portes opposées.
— Laissez-moi sortir ! supplia Asgad. Je peux éviter un massacre.
— Il vous tuera !
— Je vous ordonne de me laisser sortir !
Dans un soudain état de transe, le président appuya sur le bouton qui actionnait le déverrouillage. Découvrant que la portière était trop lourde pour être ouverte à l’horizontale, Asgad utilisa plutôt la fenêtre. Le verre glissa avec un chuintement. À son grand étonnement, l’entrepreneur se propulsa sans aucune difficulté à l’extérieur, comme s’il avait eu des pattes de grenouille. Il atterrit souplement dans la rue, face au cauchemardesque meurtrier.
— Voilà donc le futur maître du monde, grimaça Asmodeus.
Asgad continuait à observer son opposant en se demandant pourquoi il ne le craignait pas.
— Malheureusement pour toi, l’Alliance a décidé de t’éliminer.
— Quelle alliance ?
— Celle de tous les démons de la Terre, évidemment.
« Je suis peut-être couché dans mon lit en train de faire un cauchemar… » songea soudain l’Israélien.
— Le jour approche où nous pourrons enfin vivre au grand jour, mais pour que cela se produise, nous ne devons être sous la domination de personne.
— Vous défiez l’empereur de Rome ?
La créature pencha la tête de côté, ne comprenant pas où sa victime voulait en venir.
— Peu importe qui tu es, tu mourras aujourd’hui, car c’est ton destin.
Asgad aurait donné n’importe quoi pour avoir un glaive sur sa hanche. Asmodeus profita de cette courte distraction pour l’attaquer. C’est alors qu’émergea enfin l’Anantas qui sommeillait au cœur de l’empereur. Tandis qu’on entendait au loin le martèlement des bottes des soldats qui accouraient, la peau du visage d’Asgad se couvrit de petites écailles bleues.
— Mais comment… ? s’étrangla Asmodeus, stupéfait.
Son corps reptilien étant sensiblement de la même taille que son corps humain, les vêtements de l’Israélien ne gênèrent pas ses mouvements. Sans la moindre frayeur, il fonça sur le Shesha. Ce dernier commença par reculer devant sa fureur, puis défendit sa vie. Les deux reptiliens roulèrent dans la rue recouverte de sang, se griffant et se mordant tout en poussant des grondements rauques. Atterrés par ce curieux spectacle, les soldats ne surent plus très bien quoi faire lorsqu’ils atteignirent enfin la limousine.
— Mettez-les en joue ! hurla leur commandant. Mais ne tirez pas !
Il grimpa lui-même sur la voiture et jeta un coup d’œil par la fenêtre ouverte. Le président était écrasé tout au fond, le visage blafard.
— Sauvez monsieur Ben-Adnah ! supplia-t-il.
— Où est-il ?
— Je n’en sais rien ! Il est sorti de la voiture !
Le commandant se redressa et regarda rapidement autour de lui sans apercevoir la moindre trace de l’homme d’affaires. Les deux combattants, qui essayaient de s’arracher mutuellement la tête, ressemblaient plutôt à des assassins affublés de cagoules bleues. Ni l’un ni l’autre ne pouvaient être Asgad Ben-Adnah. Le pauvre militaire n’avait jamais été confronté à ce genre de situation. Devait-il tuer les deux hommes ? L’un d’eux pouvait très bien être en train de protéger le président… S’il n’arrêtait pas bientôt ce duel, il n’en saurait jamais rien.
Jouant le tout pour le tout, il visa les deux hommes et ne tira qu’un seul coup. Touché au bras, Asgad repoussa brutalement son assaillant contre le mur et se tourna vers celui qui l’avait blessé.
— Si vous faites un pas de plus, je vous tue ! l’avertit le soldat.
Sous sa forme d’Anantas, le célèbre entrepreneur ne raisonnait plus de la même façon. Il releva brusquement le bras. Le commandant n’eut pas le temps de presser sur la gâchette de son arme. Une terrible force invisible le projeta comme un vent violent avec tous ses hommes, jusqu’au carrefour suivant, cinq cents mètres plus loin ! Asmodeus profita de ce moment d’inattention de son adversaire et l’attaqua par-derrière, plantant ses griffes dans sa gorge. Asgad se débattit férocement, mais n’arriva pas à décrocher le Shesha. Du sang bleu s’échappait de ses blessures et tachait son bel habit. Perdant rapidement des forces, il tomba à genoux.
Asmodeus s’apprêtait à sectionner l’une des veines jugulaires de l'Anantas lorsqu’un fantastique éclair blanc l’aveugla. Il ne laissa cependant pas s’échapper sa proie. Il battit frénétiquement des paupières et distingua la silhouette d’un humain. « Encore un autre qui veut se faire tuer », gronda intérieurement le Shesha. Il baissa la tête pour mordre Asgad, mais reçut une boule de feu sur l’épaule avant d’avoir pu planter ses crocs dans la chair de son adversaire. En proie à une déchirante douleur, il laissa tomber l’Anantas sur le sol et regarda ce nouvel ennemi avec plus d’attention. Ce dernier portait un imperméable noir sur un habit de la même couleur, comme les hommes d’affaires, mais quelque chose dans son regard incandescent indiqua à Asmodeus qu’il ne le vaincrait pas.
— Comment oses-tu t’en prendre au Prince des Ténèbres ? hurla Ahriman, ivre de colère.
— Personne ne régnera sur nous, rugit le Shesha.
Une autre sphère incandescente prit naissance dans la paume du Faux Prophète. Asmodeus ne demanda pas son reste. S’il voulait un jour faire payer à cet Orphis son insolence, il devait survivre à cet affrontement. Vif comme l’éclair, malgré sa blessure à l’épaule, le reptilien bleu grimpa comme une araignée sur la façade de l’immeuble derrière lui. Ahriman lança la boule de feu, mais elle frappa la brique, car le Shesha venait de sauter sur le toit.
Le Faux Prophète ne le prit pas en chasse. Il se pencha plutôt sur son protégé et referma très rapidement ses blessures à la gorge. Satan ne le lui pardonnerait jamais si Asgad venait à perdre la vie avant qu’il ne soit prêt à prendre possession de son corps. Les écailles sur le visage de l’Israélien se mirent à disparaître et il reprit son apparence humaine. Juste à temps, d’ailleurs. Les soldats revenaient à la charge. Ahriman changea aussitôt la couleur du sang sur les vêtements d’Asgad, car il aurait été incapable de leur expliquer pourquoi il était bleu.
— Docteur Wolff…, murmura le blessé en battant des paupières.
— Ménagez vos forces, monsieur Ben-Adnah. Tout va très bien, maintenant.
Le soi-disant médecin déchira la manche de son patient et examina la plaie noircie laissée par la balle du militaire. Il profita du fait que les soldats aidaient le président à sortir de la limousine pour extirper magiquement le projectile et arrêter le sang.
— Je vais encore me retrouver à l’hôpital…, geignit Asgad.
— En effet, on dirait bien que c’est votre lot, acquiesça Wolff. Malheureusement, les hommes politiques qui veulent sauver le monde deviennent tôt ou tard la cible de ceux qui ne désirent pas le voir changer.
Ahriman souleva Asgad par le bras qui n’avait pas été touché et le remit sur pied. Ce dernier vacilla dangereusement. Maintenant qu’il s’était changé une première fois en reptilien, il lui serait plus facile de répéter la métamorphose. Cela ne plaisait pas du tout au Faux Prophète.
— Je ne me sens pas très bien, balbutia Ben-Adnah avant de s’effondrer contre la poitrine de son médecin.
— Aidez-moi ! hurla l’Orphis à l’intention des soldats. Il a besoin de soins que je ne peux pas lui prodiguer ici.
Utilisant sa petite radio, le commandant demanda qu’on lui apporte immédiatement une civière.